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Ecoocivisme - e - le projet écoocivique

Le projet écoocivique

Les quatre capitaux

Depuis plusieurs années, un groupe de recherche universitaire états-unien (The Gund Institute for Ecological Economics, soit l'Institut Gund pour l'Economie Ecologique, Université du Vermont1) mène des travaux sur les relations entre économie, écologie et social. Leurs conclusions, dans la droite ligne du rapport Meadows, sont sans appel quant à l'avenir de notre planète si la société humaine poursuit sur la voie du capitalisme libéral mondialisé: le crash est inévitable. Par contre, de leur analyse profonde et multi-dimensionnelle de notre société et de ses relations à la biosphère, il ressort que ce dont dispose l'humanité pour assurer sa survie (et au-delà, son bien-être) peut se résumer en quatre groupes essentiels de valeurs. Ces quatre groupes sont donc quatre capitaux, qui ont des valeurs hétérogènes en ce sens que tous ne sont, par exemple, pas mesurables en monnaie, comme le bonheur ou le nombre d'amis. Les quatre capitaux reconnus par le groupe du Gund Institute sont:

Le capital naturel (natural capital), qui regroupe tout de que la Nature au sens le plus large peut nous offrir, depuis les minerais que nous exploitons jusqu'à l'air que nous respirons, en passant par les espaces de biodiversité préservée et les champs où aller pique-niquer en famille. Pour avoir une idée de ce que représente, en monnaie, temps de travail et énergie, le capital naturel pour nos industries, il suffit de se poser la question suivante: "Combien coûterait l'acte de pollinisation artificielle de toutes nos cultures fruitières et céréalières si les insectes ne le faisaient pas gratuitement pour nous?". Il en va de même pour un nombre incalculable de situations de production.

Le capital humain (human capital), qui représente le nombre et la "qualité" de nos congénères. Ce capital est d'autant plus élevé que les humains qui le composent sont plus heureux, mieux nourris, en meilleure santé et mieux formés. Le capital humain se construit et s'amplifie donc avec l'amélioration des conditions sanitaires, alimentaires et avec l'instruction. Il y a forcément une dépendance de la valeur de ce capital au nombre d'humains sur Terre, sachant qu'il existe certainement un optimum en deçà et au delà duquel le capital humain se déprécie, soit par inefficacité des transferts de connaissance et des avancées technologiques (pas assez d'humains pour assurer un progrès efficace et une formation rapide aux nouvelles technologies), soit par promiscuité (trop d'humains engendre des conflits sociaux, accroît les risques épidémiologiques et provoque une pression trop forte sur le capital naturel, ce qui en retour affecte négativement la qualité de vie, donc le capital humain).

Le capital social (social capital), qui est une mesure du nombre moyen et de la qualité moyenne des relations inter-individuelles. Plus d'amis et plus d'entraide sont un facteur de meilleure chance de survie, aident à vivre mieux et à se sortir plus facilement des situations passagères difficiles (perte de ressources, maladie, deuil, etc). Inutile de s'étendre sur les drames de la solitude et de l'indifférence présents dans toutes les grandes villes du monde. Le capital social se construit par le développement d'une société qui favorise l'entraide et la coopération plutôt que la concurrence et l'opposition.

Le capital matériel (built capital), qui représente tout ce que nous produisons d'artefacts à partir des trois autres capitaux, via notre travail. La richesse matérielle ainsi définie englobe aussi des richesses non-physiques, comme la monnaie électronique, ou la valeur de marché d'un bien naturel (sol ou sous-sol par exemple).

En considérant les définitions de ces quatre capitaux, il est évident que la gouvernance actuelle se base essentiellement sur la valeur de ce qui se trouve dans le capital matériel, même si quelques exceptions se rencontrent dans les autres capitaux. Les capitaux naturel, humain et social n'entrent que très marginalement en ligne de compte dans les décisions politiques, et encore est-ce généralement à l'encontre de ce que voudraient les décideurs purement économiques. En effet, l'économie d'aujourd'hui déconsidère tout simplement, voire nie carrément, l'existence des trois capitaux autres que matériel. C'est pour cela que nous devons changer de mode de pensée, et remettre chaque capital à sa juste place, à travers le projet de société globale qu'est l'écoocivisme.


 

L'origine de l'écoocivisme

L'écoocivisme trouve son origine dans la nuit des temps, quand les Hommes ont dû s'unir pour survivre face à un environnement impitoyable, peut-être lors des grandes glaciations du Quaternaire. C'est probablement à partir de ce moment que la société humaine, de groupe lié par l'opportunité ou par lien familial direct, est passée à une collaboration obligatoire. Sans la coopération de chacun à la tâche pour laquelle il est le meilleur dans le groupe, sans la spécialisation individuelle qui implique l'interdépendance de tous, l'Homme n'aurait sans doute pas survécu, du moins sous les moyennes et hautes latitudes, aux assauts des glaces. Ce schéma de spécialisation/dépendance est encore au coeur de nos sociétés modernes, où personne ne sait ni ne peut tout faire par lui-même, vivre en parfaite autarcie industrielle, technologique, alimentaire.

L'écoocivisme observe que, durant les dernières décennies, nous avons assisté à une dérive de la relation de dépendance vers une exploitation systématique d'une majorité des humains au profit d'une très petite minorité. Cette configuration était apparemment déjà à l'oeuvre dans la féodalité, à ceci près que dans la féodalité, le puissant qui vit sur le travail des faibles doit en retour assurer la protection des faibles contre les ennemis extérieurs à la communauté. Il y a donc bien interdépendance, puisque sans les faibles, le puissant ne peut vivre, et donc il doit assurer leur survie. Réciproquement, le faible ne pourrait probablement pas survivre sans le puissant, et donc il doit assurer le ravitaillement du puissant.

Dans les dernières décennies que nous avons vécues cependant, la notion de protection du faible a totalement disparu du registre des puissants. En effet, sous l'action de la mondialisation, le délitement et l'uniformisation des cultures ont mis à la disposition des puissants une masse quasi inépuisable de main d'oeuvre bon marché et de consommateurs riches. La main-mise d'une oligarchie mondiale sur les ressources, les travailleurs et les consommateurs (ces derniers via la publicité) leur a permis, pour la première fois dans l'histoire, de pouvoir vivre en dehors de la relation d'interdépendance puissants-faibles. La relation actuelle des puissants aux faibles est une véritable relation de parasitisme, de vampirisme, apparentée à la levée d'un tribut par une population guerrière puissante sur une population industrieuse faible.

Le schéma est simple: les puissants font travailler les pauvres parmi les faibles, puis font consommer les riches parmi les faibles, et prennent à chaque étape une dîme sur les échanges. Ainsi, la relation d'interdépendance s'établit entre les travailleurs pauvres et les consommateurs riches, en excluant de fait les maîtres du jeu, qui sont les puissants. Ceux-ci s'arrogent le droit de guider la destinée des peuples, par la manipulation mentale (désinformation, fausses vérités économiques, publicité, etc), la corruption et le chantage sur les gouvernements, afin de maintenir aussi discrète que possible leur véritable situation. Une technique classique consiste pour eux à se poser comme des "victimes comme les autres" de la cruauté des lois qu'ils ont fabriquées. Et l'immense majorité des faibles les croit. Et sans doute qu'une part non négligeable de ceux qui sont à la limite d'être des puissants les croit aussi, ce qui fait que le jour où ils passent dans le camp des puissants, ils y entretiennent l'idée que le monde est ainsi fait et que nul n'y peut rien. Il semble n'y avoir plus personne aux commandes pour se poser la question de savoir qui fait les lois économiques ni si elles sont bien faites. Le Dogme "Industrie / Capital / Profit" est tout, et nul dans la sphère d'influence des décideurs politiques et économiques ne semble avoir la possibilité de penser à le remettre en cause. La paralysie mentale est totale. La rétroaction positive sur les faibles parfaite. L'auto-amplification du phénomène assurée. Jusqu'où pourrons tenir dans ce cercle vicieux?

Ainsi, le véritable ennemi de l'humanité aujourd'hui, ce n'est pas une nation, un groupe, ce n'est pas un peuple pirate ou leveur de tributs, que nous pourrions identifier et essayer de combattre ou de circonscrire. Non, le véritable ennemi, c'est une idée du monde, une fausse interprétation des valeurs qui conduit les Hommes, tels des lemmings, au suicide collectif. La perte de l'humanité tient là: une sorte d'hystérie collective, une maladie mentale, un virus conceptuel, servi jour après jour par un système mondialisé d'informations biaisées, entériné et conforté chaque heure qui passe par la publication de chiffres économiques sans fondement. Un ennemi qui agit sourdement au sein de chacun d'entre nous, à travers nos actes quotidiens, à travers un parfait conditionnement aux "lois" du marché.

C'est ainsi que nous acceptons sans broncher que la concurrence soit rude, que l'argent soit cher. Chacun étant absorbé par la recherhce d'un argent si rare et si indispensable, nul ne semble se poser les questions ici essentielles: "Pourquoi manque-t-on systématiquement d'argent? Qui fabrique la monnaie, comment et pourquoi?". Nous trouvons naturel que la voiture pollue, nous stresse et tue, parce que la voiture est le seul moyen d'aller au travail, que le travail est le seul moyen de gagner l'argent nécessaire pour aller travailler (eh oui! c'est ce qui se passe!), que fabriquer des voitures est le seul travail disponible, et que nous devons aller travailler en voiture. N'y a-t-il pas ici quelque chose d'insidieux? Ne serait-il pas plus simple d'arrêter de croire que nous avons besoin de la voiture, et que nous n'irions ainsi plus au travail, que nous ne fabriquerions plus alors de voitures, ce qui ne dérangerait personne puisque de toute façon nous avions décidé que nous n'en avions plus besoin? Et ainsi, nous ne risquerions plus nos vie sur les routes, ne polluerions plus notre planète, et supprimerions une cause majeure de stress.

Cet exemple simpliste et réducteur est pourtant une illustration parfaite de notre comportement de shaddock. Pompons, pompons, car si nous arrêtons de pomper, il risque de se passer quelque chose. Mais quoi? Nul ne le sait, mais justement, pompons plutôt que de risquer de le savoir.

Pour continuer à courir le long de ce cercle, ou plutôt cette spirale infernale, nous avons détruit tout ce qui faisait obstacle à notre vitesse. Nous avons démantelé notre capital social, nous avons sérieusement entamé le capital naturel de la Terre, nous avons plus que rongé le capital humain. En échange, nous avons tenu une comptabilité scrupuleuse d'un capital matériel, constitué pour l'essentiel aujourd'hui de cochonneries à trois sous, sans utilité, sans avenir, car fragiles, et de toute façon démodées en quelques jours, semaines ou mois. Nous avons construit un modèle dogmatique sur la croissance du PIB, sans tenir compte que le PIB ne mesure en rien la réalité de la vie des gens. Le PIB ne dit rien du bonheur ou du bien-être des populations. Nous avons négligé trois de nos capitaux, et devrons en payer chèrement le prix.

Toutefois, il est peut-être encore temps de limiter les dégâts, en cherchant dès maintenant à instaurer un nouveau système de gouvernance, un système qui saurait prendre en compte tous les capitaux de l'humanité. L'écoocivisme est un tel système.

L'écoocivisme est une synthèse qui unit la pratique associative et la théorie économique. A travers la pratique associative, l'écoocivisme cherche à rétablir le capital social des communautés, en recréant des liens de collaboration et d'interdépendance au sein des communautés, et entre les communautés. Par la recherche d'une gestion raisonnée des ressources, l'écoocivisme veut rééquilibrer nos relations à la Nature, et reconstituer le capital naturel. Par la lutte contre l'exploitation, la misère, la faim, la maladie, et à travers l'instruction des populations, l'écoocivisme rétablira le potentiel du capital humain pour l'avenir. La conservation du patrimoine et l'orientation des productions futures vers plus d'écologie et de durabilité nous assureront un capital matériel de qualité, construit pour nous et pour nos descendants, permettant d'intégrer le cycle de vie de nos artefacts à celui des grands cycles biogéochimiques qui assurent le renouvellement des ressources à la surface de la Terre.

Pragmatique, l'écoocivisme se base sur, et reprend tout en les prolongeant, les pratiques sociales solidaires, telles qu'elles se pratiquent au sein des communautés électives, des associations d'entraide, ou encore des ONG dans tous les domaines (alimentaire, santé, développement, formation, instruction, justice, etc). En outre, l'écoocivisme promeut et développe autant que possible les initiatives économiques d'autogestion de monnaies locales, telles qu'elles se pratiquent au sein d'associations SEL. En effet, il a été démontré plusieurs fois dans l'histoire que la création de monnaies, temporaires ou non, spécialisées et autogérées, pouvait considérablement améliorer le bien-être des populations (par exemple, Marans (France, 1958); Lignières en Berri (France, 1956); Wörgl (Autriche, 1933); Schwanenkirchen (Allemagne,1931)2). Il existe aussi quelques exemples de monnaies complémentaires côtoyant sans heurt les monnaies nationales, dont la plus célèbre est sans doute la Ithaca Hour, de la ville d'Ithaca, près de New York (Etats-Unis3), active depuis 1991. Ces monnaies ont le considérable effet de rendre caduque la rareté structurelle (et stupide!) de l'argent capitaliste.

Théorique, l'écoocivisme tient compte du travail fourni par le GRESSO4 dans la conception du projet écoosociétal. Le GRESSO, initié par André-Jacques Holbecq, est un regroupement de citoyens qui se sont donné pour but de concevoir et démontrer la faisabilité d'un système économique compatible avec l'éthique sociétale. Ce système économique, baptisé écosociétalisme, est une des pierres angulaires de l'écoocivisme, où nous le retrouvons sous le nom plus purement économique de "écoomonétarisme". Il en sera question longuement un peu plus loin.

 

Les objectifs du projet écoocivique

L'écoocivisme vise à l'instauration d'une organisation pacifique et mondialisable de la vie collective par une juste répartition de la richesse existante et des revenus de l'activité économique. L'écoocivisme se veut une règle de vie commune, basée sur des concepts humanistes. Il veut recentrer les priorités politiques et économiques sur l'Humain, et en particulier placer au coeur de son action non plus la seule comptabilité financière, mais aussi la comptabilité du bonheur, du bien-être. Il se base pour cela sur la prise en compte des quatre capitaux essentiels à l'humanité, que nous avons décrits plus haut. L'écoocivisme veut rétablir un équilibre dans la prise en compte de ces quatre capitaux, et chercher les moyens d'augmenter la somme des bénéfices qui en est retirée simultanément par l'humanité. Il est évident aujourd'hui que la prise en compte dans les politiques de gouvernance d'indices qui sont presque exclusivement basés sur la mesure du capital matériel, entraîne une baisse significative des bénéfices retirés des trois autres capitaux, et même le plus souvent un déficit considérable, une atteinte profonde à ces trois autres capitaux. Il en résulte un bénéfice global inférieur à celui mesuré par les indices comme le PIB. De fait, des politiques qui conduisent à mesurer comme un bénéfice une marée noire, une catastrophe naturelle, une surexploitation des ressources ou l'épuisement de celles-ci (par l'augmentation des marges de profit liées à la baisse de l'offre), sont des politiques qui ont oublié de prendre en cause la douleur, la misère, la faim, la mort, la destruction. Bref, des politiques qui ont oublié de comptabiliser les bilans catastrophiquement négatifs sur les capitaux social, naturel et humain, et qui le plus souvent, aveuglées par la lumière du capital matériel, ont tout simplement volontairement provoqué la déprédation massive des autres capitaux.

Pour parvenir à rétablir un certain équilibre, l'écoocivisme propose l'instauration de l'écoomonétarisme, un système monétaire alternatif, sans capital financier ni intérêt sur la monnaie, sans propriété privée des moyens de production, sans appropriation privée du sol et des biens communs (eau, énergie, transports, ressources minérales, mais aussi connaissance, communication, éducation, défense, justice, santé, etc). La gestion communautaire des moyens de production et des ressources primaires par un système socio-politique de solidarité permet de maintenir à un niveau raisonnable la dépréciation du capital naturel, tout en autorisant le maintien du capital matériel. La gestion communautaire des ressources primordiales (santé, connaissance, communications, éducation, transport, défense, justice) par le même système socio-politique permet de maintenir à un haut niveau les capitaux sociaux et humains. Avec une intégration plus poussée des cycles industriels et biogéochimiques, il est raisonnable de penser que nous parviendrons à un équilibre à très long terme (siècles ou millénaires) des niveaux d'exploitation-reconstitution des stocks de ressources primaires, tout en gardant la possibilité d'accumuler progressivement du capital matériel.

Pour ce qui est de la nature du capital matériel produit, l'écoocivisme maintient la libre entreprise, source unique de diversité et donc d'adaptabilité de la société. En effet, nous sommes convaincus que l'économie dirigiste n'est pas viable, particulièrement parce qu'elle cherche à imposer un niveau de capital matériel identique pour tous. En faisant cela, elle ne permet pas la pleine expression des capitaux social et humain. Il en découle une baisse du bénéfice combiné des quatre capitaux, et donc in fine un blocage de la société. Nous pensons que seule l'entreprise individuelle est à même de répondre, localement et globalement, à l'ensemble des besoins de la population, et de s'adapter en des temps raisonnables aux changements de ces besoins, dans le respect et l'équilibre du bénéfice global retiré des quatre capitaux.

2http://fr.wikipedia.org/wiki/Post-capitalisme, mais aussi le livre "Rendre la création monétaire à la Société Civile", Philippe Derudder, Ed. Y. Michel, 2005, ISBN : 2-913492-35-5

3http://www.ithacahours.com/ et HYPERLINK "http://www.ithacahours.org/" http://www.ithacahours.org/

4Groupe de Recherche pour un Système SOciétal, voir http://www.societal.org


Date de création : 16/09/2012 : 11:56
Dernière modification : 16/09/2012 : 11:56
Catégorie : Ecoocivisme
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